[Critique cinéma] White Bird

Aux USA, à l’aube des années 1890 : un quartier pavillonnaire huppé, une famille de la middle-class (les Connors) avec une femme au foyer au bord de la crise de nerfs, un mari travailleur et une adolescente blasée par ses parents mais obsédée par le sexe… autant d’ingrédients qui semblent faire du film de Gregg Araki une nouvelle satire de la société américaine. Du moins, d’une certaine société américaine : celle des WASP (White Anglo-Saxon Protestant) des banlieues aisées, largement représentée dans des films tels que The Stepford Wives, American Beauty ou encore Revolutionnary Road (Les Noces rebelles), sans parler de Desperate Housewives. White Bird est-il un énième drame sur le cauchemar familial et social qui se trame parfois dans les grandes maisons de ces banlieues américaines ?

Une voix féminine ouvre le film : « J’avais 17 ans quand ma mère a disparu ». Le thème de White Bird, l’événement qui constitue son point de départ – à savoir la disparition de la mère – contient un fort potentiel dramatique. Dans le Gone Girl de David Fincher, sorti dans les salles à peu près en même temps, ce même thème donne évidemment lieu à un thriller palpitant. Mais ici, nulle tension dramatique. Au contraire, le rythme demeure plutôt égal ; pas de cris, pas de crise, pas de larme, et ainsi pas de climax comme on en attend souvent. Une enquête policière est engagée par le père et la fille, mais elle s’avère infructueuse. En fait, tout ce qui aurait pu faire l’objet d’un drame familial ou d’un thriller haletant ne trouble en apparence nullement la vie sentimentale, festive et estudiantine de la jeune Kat, qui semble davantage préoccupée par ses désirs sexuels que par le départ de sa mère. Tout élément potentiellement dramatique tourne en dérision, ou bien s’atténue, s’amortit au contact de Kat, un peu de la même façon que, dans les rêves de la jeune fille, la tempête de neige étouffe sa voix et brouille sa vision.

La quête de la mère se situe en fait à un autre niveau. Le film commence avec la voix de Kat, et c’est elle qui interrogera la disparition de sa mère jusqu’à la fin. White Bird raconte la façon dont une adolescente vit la disparition soudaine d’une mère dont elle était loin d’être complice, alors qu’elle-même est en train de prendre son indépendance, du moins de se découvrir, socialement et sexuellement. C’est donc le regard de l’adolescente qui interroge, qui sonde, dans une sorte d’enquête psychologique et mémorielle, la disparition de la mère. La disparition, et non l’absence. Car la disparue est bien visible, à l’écran, qui focalise le regard des spectateurs.

Evie Connor, la mère, incarnait le type même de la femme au foyer. Moins placide qu’une Bree Van de Camp (mais aussi talentueuse qu’elle pour tout ce qui touche aux choses ménagères), elle ne cachait plus depuis longtemps le mépris croissant qu’elle éprouvait pour son mari. Elle jalousait sa propre fille, Kat, quand celle-ci s’est mise à s’embellir, à avoir un corps désirable, et surtout à fréquenter le fils de la voisine, un garçon mignon mais un peu simple. Frustrée par son mariage, lassée de son quotidien insipide, Evie n’en continuait pas moins de préparer chaque soir un dîner familial somptueux. Jusqu’au jour bien sûr où elle disparaît mystérieusement. A-t-elle enfin décidé de quitter son mari et de voler de ses propres ailes ?

A côté des séquences qui montrent Kat dans sa vie d’adolescente américaine – soirée gothique en boîte, soirée-potins avec ses deux meilleurs amis dans la cave de son père, après-midi au mall,… – le film fait intervenir des flash back de l’enfance de l’héroïne ainsi que des séquences purement oniriques. Cette construction à plusieurs niveaux, qui rappelle un peu celle du Blue Jasmine (Woody Allen, 2013), permet d’approcher le personnage de la mère de trois façons : réaliste, à travers ses interrogations et ses jugements pragmatiques sur le départ de la mère, mémorielle, en la représentant à travers ses souvenirs d’enfance de Kat, et onirique, grâce aux rêves où elle la cherche dans la neige. Ces dernières offrent parmi les plus belles images du film et la vision de Kat perdue dans l’épure blanche d’une grande tempête de neige rappelle le sens même du film, White Bird in the blizzard, un oiseau blanc perdu dans le blizzard qui appelle sa mère disparue et part sur ses traces… car dans ses rêves la quête symbolique se poursuit.

Et ainsi la mère – merveilleusement incarnée par Eva Green (Casino Royale) – est presque constamment visible à l’écran. Elle est d’une beauté magnétique et magnétisante, d’une beauté qui conviendrait mieux à une star du cinéma qu’à une simple ménagère : là est peut-être tout le drame de son existence. Qu’elle soit seule occupée aux fourneaux ou bien en train d’arranger la décoration de sa maison, ou en train de rendre visite à sa voisine malvoyante, c’est toujours dans la tenue élégante avec la coiffure sophistiquée d’une femme fatale. Ainsi Kat semble-t-elle fascinée par cette image de la mère plus sexy que maternelle, d’autant qu’elle n’a jamais vraiment su aimer sa fille.

Alors, à côté de l’enquête policière, une autre sorte d’enquête – ou de quête – s’effectue subrepticement dans l’inconscient de la fille. Et White Bird, parce qu’il invite simplement le spectateur à accompagner les tâtonnements de Kat, ou plutôt à observer le chemin intérieur qui s’esquisse en elle presque à son insu, n’a nul besoin d’une intrigue compliquée, ni d’émotions dramatiquement exacerbées.  En Kat s’esquisse le chemin qui la mènera à la vérité. Et c’est en partie à cela que tient la réussite du film : sans grande prétention narrative, il prête au spectateur la vision encore très enchantée, naïve, très esthétique et parfois loufoque, de l’adolescente en quête de sa mère. La vérité relève d’une espèce d’évidence grossière, elle se jouait presque sous les yeux de Kat, et les nôtres, nous, spectateurs, qui n’avons pas vu l’évidence… Il y a dans White Bird une espèce de fraîcheur, de drôlerie et de vitalité qui n’ont pas manqué d’enthousiasmer bien des spectateurs dans la salle – si l’on en juge aux rires amusés qui ont ponctué toute la séance.

Article rédigé par Léa pour Conso Mag

 

 

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