[Critique cinéma] Le Majordome

Lee Daniels revient sur la lutte des afro-américains pour la reconnaissance de leurs droits civiques par le biais d’un film intimiste qui s’inscrit davantage dans la mouvance d’un certain cinéma indépendant que dans celle du mélo hollywoodien. Tant mieux.
L’argument : Le jeune Cecil Gaines, en quête d’un avenir meilleur, fuit, en 1926, le Sud des États-Unis, en proie à la tyrannie ségrégationniste. Tout en devenant un homme, il acquiert les compétences inestimables qui lui permettent d’atteindre une fonction très convoitée : majordome de la Maison-Blanche. C’est là que Cecil devient, durant sept présidences, un témoin privilégié de son temps et des tractations qui ont lieu au sein du Bureau Ovale. À la maison, sa femme, Gloria, élève leurs deux fils, et la famille jouit d’une existence confortable grâce au poste de Cecil. Pourtant, son engagement suscite des tensions dans son couple : Gloria s’éloigne de lui et les disputes avec l’un de ses fils, particulièrement anticonformiste, sont incessantes. À travers le regard de Cecil Gaines, le film retrace l’évolution de la vie politique américaine et des relations entre communautés. De l’assassinat du président Kennedy et de Martin Luther King au mouvement des « Black Panthers », de la guerre du Vietnam au scandale du Watergate, Cecil vit ces événements de l’intérieur, mais aussi en père de famille…

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A l’époque de l’élection de Barack Obama, le journaliste Will Haygood publie dans le Washington Post une série d’articles concernant Eugene Allen, un Noir qui fut majordome à la Maison-Blanche des années 50 aux années 80. Son histoire extraordinaire a aussitôt éveillé l’intérêt des exécutifs de chez Sony Pictures qui ont pris une option pour une éventuelle adaptation cinématographique. Le script signé Danny Strong (surtout remarqué pour ses téléfilms et bientôt auteur des prochains volets de la saga Hunger Games) est alors proposé à Lee Daniels, réalisateur afro-américain qui était tout désigné pour tourner une œuvre en hommage aux militants des Droits Civiques. Malgré ces cautions artistiques, aucun gros studio n’a voulu investir dans un tel projet, obligeant les auteurs à chercher du côté des filières indépendantes pour réunir les 25 millions de dollars nécessaires pour boucler le budget. Grâce au soutien d’investisseurs privés et à l’arrivée massive d’acteurs de renom venant jouer pour un cachet symbolique, Le majordome est un donc une œuvre rescapée qui a pris une belle revanche puisque le long-métrage est déjà un gros succès outre-Atlantique.

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Si le thème principal pouvait légitimement inquiéter par son classicisme – et même son académisme – Lee Daniels est parvenu à garder un aspect purement indépendant au film. Ainsi, les spectateurs qui ont apprécié Precious ne seront pas dépaysés par Le majordome qui préfère les ambiances d’antichambre que la grande pompe du spectacle historique. Si le réalisateur est contraint de passer par tous les événements fondamentaux de l’histoire américaine contemporaine, il se débrouille pour les évoquer en creux, par le biais des personnages principaux et non pas frontalement. Il évite ainsi les écueils de l’illustratif et de la compilation qui menacent chaque projet de cette ampleur. En concentrant son intrigue sur la famille du majordome, et notamment sur les positions politiques différentes entre le père (respectueux des institutions et plutôt réformiste) et le fils (plus ouvertement révolutionnaire), le cinéaste parvient à synthétiser le dilemme qui s’est emparé de la population noire quant à la ségrégation qui perdurait dans les années 50-60.

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Avec force – mais sans tapage – Lee Daniels dénonce le racisme ordinaire qui existait aux Etats-Unis. Il ose même une comparaison avec les camps de concentration qui risque de lui attirer les foudres de certaines associations. Son discours – puissant – ne pourra laisser indifférent, d’autant que le réalisateur s’est entouré de la crème des acteurs pour faire revivre cette histoire édifiante. Forest Whitaker est évidemment extraordinaire dans un rôle qui évoque forcément celui d’Anthony Hopkins dans Les vestiges du jour, mais on est également convaincu par la force du jeu d’Oprah Winfrey et de David Oyelowo qui sortent grands gagnants du long-métrage. Les autres stars font plutôt office de figurants (la palme revenant à Mariah Carey qui doit bénéficier de 30 secondes de présence à l’écran) et ne parasitent pas trop l’attention du spectateur. Face à ce traitement exemplaire, on ne peut donc que regretter les dix dernières minutes qui tombent dans le piège du mélodrame traditionnel en évoquant les dernières années des personnages. Dès lors, Lee Daniels retourne comme par mégarde dans le giron du mélo hollywoodien et gâche les derniers moments d’une œuvre qui vaut bien mieux que ces plans insistants sur des acteurs grimés pour l’occasion. Vu la sincérité de son militantisme, on ne lui en voudra pas trop.

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