[critique cinéma] No Pain No Gain

« Je suis costaud, je suis beau, je suis au top ». C’est par ces mots que débute No Pain No Gain. Y a-t-il une meilleure définition du cinéma de Michael Bay que ces quelques affirmations ? Un cinéma hypertrophié, bodybuildé, qui veut flatter la rétine et qui cherche en permanence à démontrer qu’il en a une plus grosse que son voisin. C’est pour ça que le projet de ce film est d’une cohérence absolue avec la démarche de cinéaste que Michael Bay a adoptée depuis Bad Boys en 1995. Coïncidence, c’est l’année où se déroule le fait divers…

L’histoire de ce trio de bodybuilders qui tentent un improbable kidnapping pour essayer de vivre le rêve américain dans toute sa splendeur et sa démesure, c’est un peu l´histoire de Michael Bay qui, depuis des années, accumule d’improbables projets coûteux mais rentables (honnêtement qui pensait que Transformers deviendrait une trilogie et bientôt une tétralogie ?) et qui de surcroît est un fervent patriote croyant dur comme fer au rêve américain. C’est du moins ce que ses films laissent penser (l’affreux Pearl Harbour, Armageddon) même s’il y a toujours une pointe d’ironie (mais attention pas de second degré) derrière tout ça, comme une conscience de sa propre vacuité.

Pour les fans du cinéaste ou pour ceux ceux qui connaissent un peu son cinéma, No Pain No Gain propose un discours métafilmique sur l’œuvre de Bay qui rend la séance particulièrement jouissive et au final beaucoup plus complexe que prévue. Car il est évident que Michael Bay a de la sympathie pour son trio de pieds-nickelés, criminels en herbe. Si le fait divers original est plutôt cocasse, il n’en demeure pas moins glauque et terrifiant. Le réalisateur prend le parti de l’aborder sur le ton de la comédie pure. On est dans la lignée d’une comédie noire à la Fargo. Si la spirale du crime se met en place et que la violence est présente, l’absurdité et le grand guignol ne sont pas en reste.

Le ressort de cette comédie c’est ce trio incarné par trois acteurs géniaux. Mark Wahlberg est parfait en cerveau de la bande, à l’encéphale aussi mou que les muscles sont durs. C’est un personnage passionnant comme les Etats-Unis en raffolent car il désire s’élever au-dessus de sa condition de simple prof de fitness et embrasser de toute sa carrure la voie du Self Made Man (on ne peut s’empêcher de penser à Arnold Schwarzenegger d’ailleurs). Il fait juste de mauvais choix. A ses côtés Dwayne Johnson est brillant en dur à cuire repenti qui s’est tourné vers Dieu mais qui reste hanté par ses démons. Antony Mackie n’est pas en reste. Son personnage de gentil suiveur est touchant.

Ces trois personnages sont les armes du réalisateur, ses robots ! Il les chouchoute tant qu’il peut, s’amuse de leurs bêtises et les regarde avec une émouvante bienveillance. Ce qu’ils ont fait est terrible. Ils ont dépassé toutes les limites de la criminalité, par stupidité, trop bêtes pour comprendre la gravité de leurs actes. Il sont obsédés par l’illusion de l’argent et de la Grande Vie et Bay reste en permanence de leur côté. Il semble vouloir à tout prix nous montrer que, derrière le burlesque tragique du fait divers, il y a juste trois gars qui n´étaient pas capables de se contenter de ce que la vie leur avait offert. Michael Bay ne peut changer l’histoire, il ne peut réécrire l’anecdote mais il peut essayer de démêler tout ça pour faire de ces trois abrutis des humains.

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Le film est extrêmement réussi dans sa description du Miami de 1995. On se situe entre Deux Flics à Miami (même si la série date des années 80) et le GTA Vice City que ce soit au niveau des décors, des costumes, des accessoires ou de la musique (Coolio, Bon Jovi….). Tout est très coloré, très artificiel, tape-à-l’œil et on comprend facilement la tentation de posséder tous ces artefacts de richesse. Le film le dit clairement d’ailleurs: la Floride est une terre de tentation.

La mise en scène de Michael Bay n’est pas en reste. Pour la première fois de sa carrière il fait un film sans action (ou presque) et sans effets spéciaux (ou presque) mais ce qui est génial c’est que son ADN est profondément inscrit dans chacun des plans du film. Pas besoin d’être un exégète de son cinéma pour en voir partout les attributs les plus évidents. Bay est connu pour être le réalisateur d’explosions, c’est même devenu un mème Internet. Nous avons droit à cette explosion. Bay possède un plan signature, présent dans tous ses films et iconique en diable : un travelling circulaire en contre-plongée sur ses héros. C’est présent ici. Vous vous souvenez de Bad Boys 2 et du plan circulaire qui passe à travers les serrures des portes ? C’est présent ici. Vous aimez le fétichisme Bayien pour les jolies jeunes femmes ultra sexualisées (remember Megan Fox) ? C’est présent ici. Le plan au ralenti sur les héros qui partent au combat avec leur équipement ? C’est présent ici. Mais on ne sent jamais que c’est forcé, que c’est un clin d’œil, qu’il caresse ses fans dans le sens du poil ou dresse son majeur face à ses détracteurs. Il est juste sincère, cent pour cent sincère et c’est l’essence de son cinéma qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Et c’est cette sincérité-là qui fait que No Pain No Gain a ce petit plus qui recouvre le tout, cette personnalité reconnaissable entre mille : la patte d’un auteur.

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D’ailleurs quand on parle de la répétition de certaines figures récurrentes on ne peut s’empêcher de se poser la question du héros. Car les personnages principaux sont assimilés au héros Bayien. Par la mise en scène ils sont placés au même niveau que Bruce Willis qui sauve le monde dans Armageddon. Ils intègrent immédiatement le hall of fame du cinéma de Bay et sur le papier (= dans les plans) rien ne permet de faire la distinction entre les bons et les mauvais. C’est que Michael Bay a besoin de ça.

Son héros c’est le fondement de son cinéma, il a besoin de « look up to him », de littéralement le mettre sur un piédestal. Tout se construit autour de lui. Il aurait pu trouver un autre héros dans l’histoire (la victime, le détective) mais ce n’est pas comme ça qu’il fonctionne. Il a besoin que son héros soit extraordinaire, qu’il présente des attributs qui lui sont propres et qui font de lui un héros. Ici le bodybuilder est un héros pur jus, purement américain, avec ses muscles saillants et sa force au-dessus de la moyenne. C’est fascinant de le voir déconstruire cette dialectique dans un mouvement d’autodestruction où les personnages semblent en permanence contredire la mise en scène. Ce décalage est à la base de l’humour du film (chaque fait d’arme du héros est un pas de plus dans la stupidité). Mais ce n’est qu’en les filmant comme ses robots qu’il peut enfin les comprendre, peut enfin dessiner leur humanité. Car ce n’est qu’en étant défini comme des héros qu’ils ont l’occasion d’être des hommes.

Mais ne nous emballons pas. No Pain No Gain est avant tout un incroyable ride fun furieusement jouissif. Une comédie hilarante, ultra-rythmée et colorée. Une version mâle alpha de Spring Breakers saupoudré des frères Coen. On passe la séance le sourire aux lèvres parce que tout le monde se fait plaisir, les acteurs n’ont littéralement jamais été meilleurs (on attend avec impatience la nomination [justifiée] de Dwayne Johnson aux Oscar),. Michael Bay s’amuse avec sa caméra (superbe utilisation du ralenti) et il fait preuve d’une générosité totale. C’est d’ailleurs le seul reproche que l’on peut faire au film: sa longueur. 2h10 pour une comédie c’est un peu excessif, il aurait pu trancher dans le lard, mais, on le sait, il aime nous en donner plus, il veut tout mettre, ne rien laisser dehors. Il est, avec Peter Jackson, le cinéaste hollywoodien le plus généreux. Et cette générosité éclate dans chacun des plans du film, dans la multitude de détails, dans ces excès absurdes et donc dans sa longueur. Difficile dès lors de lui en tenir rigueur, surtout qu’aucune scène ne semble en trop.

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Il est certain qu’une partie des spectateurs va assimiler l’idiotie des personnages au film en considérant que c’est une œuvre sans neurones. Au contraire est-on tenté de dire que, si le film est tant réussi, c’est grâce à l’intelligence de ses auteurs qui ont su regarder ce fait divers et surtout ces personnages frontalement, avec humour, mais sans jamais tomber dans le second degré (cette notion n’existe pas dans son cinéma) ou la moquerie pure et simple.

Peut-être le meilleur film de l’été (dommage de le sortir fin août d’ailleurs), No Pain No Gain est sans aucun doute le meilleur film de Michael Bay et consitue tout simplement une petite bombe sortie de nulle part ! On espère que c’est une évolution vers un cinéma plus personnel, moins soumis aux effets spéciaux et la pyrotechnie (même s’il la maîtrise comme personne). Ça tombe bien, il a décrit son prochain film, Transformers 4, comme un épisode plus mature et intimiste. On ne sait pas si ce film va lui acheter une légitimité auprès de la critique qui ne voit en lui qu’un gamin capricieux et gâté. De notre côté; on attend vivement la sortie du film pour en reprendre une tranche bien épaisse et ultra calorique !

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